jeudi 4 septembre 2014

Cerveau : quand l'« effet miroir » gêne la lecture

 
La capacité à reconnaître un même objet sous plusieurs angles de vue perturbe la distinction des lettres « b » et « d », ou « p » et « q ». 
 
Pourquoi tant d'enfants, lorsqu'ils apprennent à lire, peinent-ils à différencier certaines lettres, comme le b et le d, ou le p et le q? Grégoire Borst, du laboratoire de psychologie du développement et d'éducation de l'enfant (CNRS) à l'université Paris-Descartes, vient de trouver la réponse. L'étude fait l'objet d'une publication en ligne sur le site de la revue internationale Psychonomic Bulletin & Review.

La clé viendrait des remaniements cérébraux d'envergure qui ont lieu au cours de l'apprentissage, en particulier pour une fonction aussi complexe que la lecture. Apprendre à lire commence avec la découverte de l'élément central des écritures alphabétiques: la lettre. «Des zones du cortex visuel dévolues à la reconnaissance des objets vont se spécialiser pour la reconnaissance des lettres», explique Grégoire Borst.
Les zones cérébrales chargées de reconnaître les maisons, les visages ou les animaux ne sont pas les mêmes. Celle dévolue à la reconnaissance des animaux semble jouer un rôle crucial dans la lecture. Personne ne sait pourquoi. «On la retrouve pourtant dans différents langages, et même dans les caractères kanjis japonais», remarque Grégoire Borst. Reconnaître l'image d'un mouton est une chose, identifier la lettre m en est une autre. Pourtant, les deux proviennent d'une sorte de bricolage du cerveau que les experts nomment «recyclage neuronal». Un mécanisme économique, mais non sans conséquences.

Dyslexie

En effet, ces neurones conservent leurs propriétés originelles, notamment l'une d'elles, appelée «la généralisation en miroir». «Si l'on présente un objet, puis le même en miroir, le cerveau va reconnaître la similitude.» Une faculté utile pour identifier les objets ou les êtres sous différents angles de vue, mais qui n'aide pas à discriminer deux lettres dont l'une est symétrique à l'autre (b/d ou p/q).

Les chercheurs français viennent de démontrer, grâce à la projection successive de paires de lettres puis d'images symétriques, que même des lecteurs expérimentés (adultes) conservent cette capacité de généralisation en miroir. Simplement, le cerveau la «désactive» transitoirement lorsqu'il lit pour éviter les erreurs. «Des adultes mettent un peu plus de temps pour dire que les images d'animaux sont identiques quand ils viennent de distinguer des lettres en miroir (type b/d) qu'après avoir vu une paire de lettres qui ne le sont pas (h/a)», explique Grégoire Borst. Il leur faut prendre le temps de réamorcer le système de généralisation en miroir.

Le plus étonnant est que ces découvertes fondamentales pourraient avoir une application pratique. «Dans la dyslexie, il y a une difficulté particulière à différencier les lettres en miroir», souligne le chercheur. Des expériences qu'il mène avec des enfants dyslexiques semblent confirmer l'implication de la généralisation en miroir. «Comme si ces enfants avaient plus de mal à bloquer ce système et aussi plus de mal à le réactiver ensuite, note Grégoire Borst. L'intérêt est que l'on pourrait mettre en place des activités pédagogiques pour apprendre à bloquer la généralisation en miroir», ajoute-t-il.