Depuis son grand discours, prononcé le 1er mars 2011 devant l’Académie française, et son essai Petite Poucette
publié en 2012, la pensée paradoxale de Michel Serres, si bienveillante
à l’égard des nouvelles générations et si confiante dans les nouvelles
technologies, est devenue pour les activistes du numérique à l’école et
les grands groupes technologiques, la caution intellectuelle et morale
idéale pour précipiter les élèves dans le tout-numérique, présenté comme
le levier magique de la refondation de l’école.
Depuis lors, Michel Serres est
omniprésent dans les médias et bien peu osent porter la contradiction à
cette figure de la sagesse philosophique, âgée de quatre-vingt deux ans
mais débordant encore d’un enthousiasme juvénile.
Pour Michel Serres, la révolution
numérique représente bien plus qu’une simple évolution technique :
s’inscrivant dans le prolongement d’autres révolutions du XXe siècle –
démographiques, économiques, médicales, épistémologiques – la révolution
numérique serait avant tout une aventure humaine. Pour incarner sa
pensée d’un « nouvel humain », Michel Serres a choisi une figure proche de nous, celle de « petite Poucette », dont il nous fait, en grand-père attendri, dans une langue qui se veut simple et accessible, le portrait naïf.
Or il est du devoir de ceux qui croient
encore dans l’école républicaine de ne pas se laisser intimider par les
bons sentiments et la fausse ingénuité de Michel Serres et de lui
porter, autant que nous le pouvons, la contradiction. Au nom d’une
certaine idée de la transmission et de la mission de l’école
républicaine.
Car, disons-le, le modèle d’acculture que propose Michel Serres est de nature à désespérer les enseignants.
N’ayons donc pas peur de montrer en quoi
son optimisme numérique constitue – à bien y regarder – moins une
audace qu'un renoncement...