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. Lu sur
Il était une fois …
Approchez-donc, n'ayez ni crainte ni frayeur ni angoisse . La chose
ne mord pas même si certains, autrefois, s'en servaient pour régler
leurs comptes et déballer le linge sale bien loin de la famille.
Manifestement, vous ignorez tout désormais de ce curieux objet, plat
comme un écran mais qui s'ouvre et se feuillette. Vous semblez ne plus
savoir que ce fut, jadis, la plus belle réalisation de l'homme : fruit
d'une formidable conquête sur l'ignorance.
Des humains ont, il y a environ six mille ans, cherché à traduire en
signes sur des tablettes d'argile, des objets et des idées, des
concepts et des actions. Ils ont inventé des dessins, puis des signes,
ont donné une représentation à des sons, ont traduit par quelques
modestes signes des discours tout entier.
Tout le savoir et tous les rêves, tous les désirs et tous les
espoirs trouvèrent place sur des tablettes, des papyrus et des rouleaux.
L'écriture allait porter le savoir loin de son lieu de création. Le
partage était la règle et les poètes se sont emparés de cette merveille
pour créer des épopées, engendrer des monstres, dépasser nos pauvres
limites de mortels.
Le livre était né. Il fut longtemps un privilège, un mystère pour le
plus grand nombre. Il fallait, en effet, une longue initiation pour
décrypter signes et sens. Les humains, pourtant, ne renoncèrent jamais à
étendre cette connaissance. De générations en générations, ils étaient
toujours plus nombreux à désirer ce pouvoir miraculeux : lire.
Le livre fut longtemps un objet rare et précieux. Des copistes,
moines le plus souvent, reproduisaient interminablement les grands
textes. Il fallait de la sueur et du temps, de l'application et de
l'amour pour assembler toutes ces feuilles qui devenaient un nouvel
exemplaire. Un texte de plus : un pas de plus vers la connaissance.
Puis, c'était avant -hier, de petites lettres mobiles vinrent donner un
nouvel essor à ce miracle. L'imprimerie allait multiplier ce qui
n'était encore qu'exception. Le livre pouvait s'inviter partout,
s'offrir à la curiosité du plus grand nombre. Plus le temps passait,
plus il prenait place dans chaque maison, offrant des trésors
d'invention et de plaisir à ceux qui lui accordaient un peu d'attention.
Vous ne pouvez vous souvenir de ce temps doré, de cette période
qu'on désigna alors sous le curieux vocable de Lumières. Car les
ténèbres allaient progressivement s'abattre sur notre Monde. L'écran
bouta le livre de son piédestal. Il avait la prétention de le remplacer,
de l'anéantir, de l'abolir. Il était si gourmand qu'il se prit d'idée
d'avaler tous les ouvrages possibles, de les numériser tous, pour leur
ôter à jamais leur redoutable pouvoir de nuisance.
Les écrans envahirent tout. Le livre perdit pied. Il fut sacrifié
sur l'autel de la vitesse, de l'instantanéité, de l'universalité. Pour
faire bonne mesure, une seule langue s'imposa à toutes les autres. Il ne
fallait qu'une seule pensée, qu'une seule vision du Monde et une langue
universelle : celle des hérauts d'un système fondé sur l'avoir et la
négation de l'être.
Le mouvement fut si rapide que nul ne comprit vraiment ce qui se
passait dans ces années ultimes où livre et écran cohabitaient en bonne
intelligence, pensait-on. Mais l'ogre était insatiable et bientôt, la
nécessité de tout contrôler, de tout passer au tamis de la censure et de
la pensée unique fut fatale à ce pauvre livre, vieil objet obsolète qui
était condamné à l'oubli.
Voilà, je suis allé bien vite pour tenter de vous expliquer cette
curiosité que nous avons découverte par hasard dans ce qu'ils appelaient
autrefois une bibliothèque à moins que ce ne fût une librairie. Vous
pouvez tourner les pages de ces trésors :c'est à vous de décrypter ces
signes, un à un, pour leur attribuer un sens. Ce qui vous demandera
beaucoup d'effort et de temps, était autrefois parfaitement naturel à
vos ancêtres.
Je vous en prie, faites cette démarche ! Dans des temps reculés,
elle était porteuse de liberté et d'émancipation, de révolte et
fascination. Jetez vos écrans et vos tablettes, votre penseur
acoustique, votre guide spirituel intégré, votre directeur électronique
de conscience. Abandonnez cette maudite novlangue, si rudimentaire,
qu'elle interdit toute réflexion et tout débat. Retrouvez la langue de
vos ancêtres et offrez-vous à nouveau le bonheur ineffable de la
lecture.
Livrement vôtre.
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