La réforme du collège portée par Najat Vallaud-Belkacem n'en
finit pas de susciter la polémique. Les cours de latin, de grec et les
classes bi-langues vont être supprimés tandis que l'instauration de
cours d'improvisation inspirés de Jamel Debbouze est évoquée. Que cela
vous inspire-t-il?
Pascal Bruckner: C'est
vraiment prendre les Français pour des imbéciles. On leur supprime le
latin, le grec et l'allemand pour leur donner à la place du Jamel
Debbouze. L'école devient le véhicule de l'ignorance et non du savoir.
L'idéal de l'excellence, porté par Jules Ferry, a été progressivement
délaissé par les idéologues au profit d'un égalitarisme qui confond
égalité et médiocrité générale. Désormais, c'est le cancre qui devient
le plus grand dénominateur commun dans la classe. Initialement, l'école
de la République avait pourtant l'ambition inverse de porter une classe
d'âge vers le niveau le plus élevé. Dans la novlangue actuelle,
apprendre à nager aux élèves devient, «se déplacer de façon autonome
dans un milieu aquatique profond standardisé». On touche le fond! La
première réforme à entreprendre d'urgence serait de renvoyer tous ces
«Trissotin» de la technocratie républicaine sur les bancs de l'école.
Dans
les nouveaux programmes d'histoire la chronologie est abandonnée,
l'enseignement de l'islam est obligatoire tandis que le christianisme
médiéval et les Lumières sont optionnelles. Qu'en pensez-vous?
Sans
chronologie, l'histoire n'a pas de sens. Cette réforme risque donc
d'égarer encore un peu plus les élèves. On peut également s'étonner du
choix de privilégier l'enseignement de l'islam par rapport à celui des
Lumières ou du christianisme médiéval. A mon sens il ne s'agit pas d'un
choix arbitraire, mais idéologique. Il y a sans doute ici une volonté
d'ouverture à l'égard de l'islam, un souci de plaire aux nouveaux
arrivants en supprimant tout ce qui peut les heurter: l'enseignement
d'un autre monothéisme et l'exercice d'un esprit critique. Mais comment
comprendre la France sans connaître le «manteau de cathédrale qui la
recouvre»? Comment comprendre qui nous sommes si l'on ne sait pas d'où
l'on vient? C'est-à-dire d'un pays de culture profondément catholique et
républicaine. Quant aux Lumières, elles sont au fondement même de la
culture laïque contemporaine. Que l'on soit de gauche ou de droite,
croyant ou pas, c'est durant cette période que se noue la modernité.
Faire l'impasse sur celle-ci me paraît aberrant. Il est vrai que dans
certains quartiers, il est désormais impossible d'enseigner la Shoah en
raison du conflit israélo-palestinien ou encore Madame Bovary qui
soulève la question de l'adultère. La réforme tend à cajoler les
éléments les plus rétifs du système éducatif au lieu de les assimiler.
Ce n'est pas forcément un bon signe à envoyer aux Français musulmans les
plus éclairés qui voudraient prendre leur distance avec leur propre
religion et s'ouvrir au reste de notre culture. Pour nourrir une
réflexion plus profonde sur les croyances, il me paraît urgent de rendre
obligatoire la lecture du traité sur la tolérance de Voltaire.
Au motif de favoriser le « vivre
ensemble », horrible terme de la novlangue actuelle, on prône
l'effacement de ce qu'il y a de meilleur dans notre héritage. On méprise
les Français d'origine immigrée qu'on croit incapable d'intégrer notre
trésor national et on prive les Français de leur histoire. Dans les deux
cas, il s'agit d'un mauvais coup porté à l'intelligence...
Après la série d'attentats qui a frappé Paris en janvier, ne fallait-il pas envoyer des signes d'apaisement?
Il
ne faut pas confondre apaisement et reddition. Dans son dernier livre,
Michel Houellebecq a magnifiquement dessiné une France possible dans les
dix ans à venir. Soumission est bien sûr une utopie négative pour que
nous n'empruntions pas ce chemin. Mais la réalité pourrait rattraper la
fiction beaucoup plus vite que prévu. Dans le livre de Houellebecq,
l'islam prend un visage presque apaisant pour mieux souligner notre
responsabilité, notre lâcheté. Le 11 janvier a été un beau moment de
résistance et d'indignation. Puis beaucoup sont retombés dans la culture
de la peur, allant même jusqu'à suggérer pour certains de revenir sur
l'interdiction du voile à l'école. A travers cette refonte des
programmes scolaires on procède au reformatage du logiciel de la France
pour complaire aux ennemis de celle-ci et de la liberté. Cela me
rappelle l'abandon par Jacques Chirac de la référence aux racines
chrétiennes de l'Europe dans le projet de Constitution européenne de
2004. On reproduit aujourd'hui la même logique de repentance agressive
en niant les fondements de notre nation. Ses fondements catholiques,
mais aussi ses fondements républicains nés de l'idéal des Lumières. J'y
vois une tentative délibérée d'amputation des traditions nationales. Au
motif de favoriser le «vivre ensemble», horrible terme de la novlangue
actuelle, on prône l'effacement de ce qu'il y a de meilleur dans notre
héritage. On méprise les Français d'origine immigrée qu'on croit
incapable d'intégrer notre trésor national et on prive les Français de
leur histoire. Dans les deux cas, il s'agit d'un mauvais coup porté à
l'intelligence. Ce qu'il y a de plus terrible dans cette réforme, c'est
qu'elle est défendue par ceux-là mêmes qui sont censés diffuser le
savoir. Comme si le maître voulait inculquer de force l'ignorance à
l'élève.
Que vous inspire la tentative d'attentat contre l'église de Villejuif?
Le
choix d'une église ne tient en rien au hasard. Les islamistes radicaux
cherchent à éradiquer toute trace des monothéismes antérieurs car ils se
veulent les seuls dépositaires de la vérité. Après les Juifs, le tour
des chrétiens est venu...