lundi 18 août 2014

L'acculture en Serres


Depuis son grand discours, prononcé le 1er mars 2011 devant l’Académie française, et son essai Petite Poucette publié en 2012, la pensée paradoxale de Michel Serres, si bienveillante à l’égard des nouvelles générations et si confiante dans les nouvelles technologies, est devenue pour les activistes du numérique à l’école et les grands groupes technologiques, la caution intellectuelle et morale idéale pour précipiter les élèves dans le tout-numérique, présenté comme le levier magique de la refondation de l’école.
Depuis lors, Michel Serres est omniprésent dans les médias et bien peu osent porter la contradiction à cette figure de la sagesse philosophique, âgée de quatre-vingt deux ans mais débordant encore d’un enthousiasme juvénile.
Pour Michel Serres, la révolution numérique représente bien plus qu’une simple évolution technique : s’inscrivant dans le prolongement d’autres révolutions du XXe siècle – démographiques, économiques, médicales, épistémologiques – la révolution numérique serait avant tout une aventure humaine. Pour incarner sa pensée d’un « nouvel humain », Michel Serres a choisi une figure proche de nous, celle de « petite Poucette », dont il nous fait, en grand-père attendri, dans une langue qui se veut simple et accessible, le portrait naïf.
Or il est du devoir de ceux qui croient encore dans l’école républicaine de ne pas se laisser intimider par les bons sentiments et la fausse ingénuité de Michel Serres et de lui porter, autant que nous le pouvons, la contradiction. Au nom d’une certaine idée de la transmission et de la mission de l’école républicaine.
Car, disons-le, le modèle d’acculture que propose Michel Serres est de nature à désespérer les enseignants.
N’ayons donc pas peur de montrer en quoi son optimisme numérique constitue – à bien y regarder – moins une audace qu'un renoncement...